Vers une culture de la donnée responsable : la loi C-59 comme point de départ
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L’entrée en vigueur de la loi C-59 le 20 juin dernier a marqué un tournant décisif dans le milieu des communications. Désormais, toute allégation environnementale doit être étayée par des preuves solides. Cette nouvelle réalité dépasse largement le simple encadrement du greenwashing : elle annonce une transformation profonde de notre rapport aux données en communication.
Cette évolution nous oblige à repenser nos pratiques. Comment définir une approche responsable des données ? Quels sont les critères pour présenter des informations fiables ? Comment s’organiser pour collecter les bonnes données avant de communiquer ? Et que faire quand nos systèmes de mesure ne sont pas encore complètement en place ?
Ces questions touchent toutes les organisations qui communiquent publiquement. Car, si la C-59 se concentre sur l’environnement aujourd’hui, l’exigence de rigueur s’étendra naturellement à d’autres domaines demain.
Qu’est-ce qu’une donnée responsable ?
Une donnée responsable va bien au-delà de la simple exactitude. Elle doit être traçable, contextualisée et vérifiable. Cette approche exige un changement de mindset : plutôt que de chercher le chiffre qui arrange, on privilégie celui qu’on peut défendre.
La traçabilité méthodologique constitue le premier pilier. Chaque donnée communiquée doit pouvoir être retracée jusqu’à sa source primaire, avec une documentation claire de la méthode utilisée. Si vous affirmez que votre produit réduit les émissions de 30 %, cette réduction doit s’appuyer sur une analyse rigoureuse : par rapport à quel référentiel ? Sur quel périmètre ? Selon quelle méthodologie ?
La contextualisation honnête forme le deuxième élément essentiel. Une donnée responsable inclut systématiquement ses limites et son champ d’application. Dire « notre entreprise réduit ses émissions » sans préciser si cela concerne uniquement le siège social ou l’ensemble des opérations, si les émissions indirectes sont incluses, ou sur quelle période cette réduction a été mesurée, ne répond plus aux standards actuels.
La représentativité temporelle évite les biais de sélection. Les données responsables reflètent fidèlement la période qu’elles prétendent couvrir, sans cherry-picking des meilleures performances pour créer une impression trompeuse. Cette exigence impose parfois d’attendre d’avoir suffisamment de recul avant de communiquer.
Enfin, la vérifiabilité distingue une donnée responsable. Les éléments probants doivent être disponibles pour examen par des tiers légitimes. Cette transparence ne signifie pas une publication intégrale, mais une capacité démontrée à étayer ses affirmations par des preuves documentées.
Comment présenter les bonnes données
La présentation responsable des données privilégie la clarté sur l’effet marketing. Plusieurs principes guident cette approche, transformant progressivement les codes de la communication corporate.
Le principe de précision contextuelle impose de circonscrire clairement le champ d’application. Plutôt que « nous sommes une entreprise durable », optez pour « nos opérations manufacturières ont réduit leur consommation d’eau de 25 % entre 2022 et 2024 grâce aux systèmes de recyclage installés dans nos trois usines principales ». Cette formulation évite les généralisations tout en valorisant concrètement les efforts.
La hiérarchisation de l’information facilite la compréhension. Présentez d’abord les données les plus significatives et les mieux documentées, puis ajoutez les éléments complémentaires. Cette structure permet aux audiences de saisir rapidement l’essentiel tout en accédant aux détails si nécessaire.
L’indication transparente des limites renforce paradoxalement la crédibilité. Mentionner qu’une amélioration ne couvre pas encore tous les sites, ou qu’une méthodologie évolue, démontre une transparence appréciée par des consommateurs désormais méfiants envers les promesses trop parfaites.
La mise en perspective enrichit la présentation en situant vos données dans un contexte plus large. Indiquer comment vos performances évoluent dans le temps et se positionnent par rapport aux standards sectoriels aide votre audience à évaluer la réelle portée de vos efforts.
Côté supports visuels, privilégiez la sobriété et l’exactitude. Les graphiques aux échelles manipulées ou aux comparaisons biaisées trahissent l’esprit de responsabilité, même si les chiffres sous-jacents sont corrects.
Qu’est-ce que ça prend pour avoir les bonnes données en main avant de communiquer
L’acquisition de données fiables nécessite une infrastructure organisationnelle dédiée et des processus rigoureux. Cet investissement, bien que conséquent, devient indispensable pour naviguer dans le nouveau paysage réglementaire.
La mise en place d’un système de collecte structuré constitue la première étape. Cela implique d’identifier tous les indicateurs pertinents, de définir des protocoles de mesure standardisés et de former les équipes responsables. Si vous vous engagez sur la réduction carbone, vous devez mettre en place un monitoring continu de vos émissions directes et indirectes, avec des relevés réguliers et une consolidation périodique selon les standards reconnus.
L’audit et la validation par des tiers représentent un investissement stratégique. Faire certifier vos analyses par des organismes reconnus, obtenir des labels sectoriels crédibles ou soumettre vos calculs à des experts indépendants vous prémunit contre les contestations tout en renforçant la confiance de vos parties prenantes.
La documentation exhaustive constitue votre assurance face aux nouvelles exigences. Chaque donnée communiquée doit s’accompagner d’un dossier détaillant sa méthode de calcul, ses sources primaires, ses hypothèses et ses limites. Cette documentation, invisible du public, devient votre première ligne de défense en cas de questionnement.
L’intégration transversale accélère la qualité de vos données. Associer dès l’amont marketing, développement durable, juridique et opérations évite les déconnexions entre la réalité terrain et les messages publics. Un comité permanent peut examiner chaque communication avant sa diffusion.
L’investissement technologique approprié simplifie la collecte et l’analyse. Des plateformes ESG aux logiciels de mesure d’impact, ces solutions permettent un suivi automatisé tout en réduisant les risques d’erreur et en facilitant la production de rapports détaillés.
Comment communiquer si nous n’avons pas encore les données en place ?
L’absence temporaire de données complètes ne justifie pas le silence, mais impose une communication particulièrement rigoureuse. Plusieurs stratégies permettent de maintenir un dialogue authentique tout en respectant les nouvelles exigences.
La communication sur les processus offre une alternative crédible aux résultats encore incomplets. Plutôt que de différer vos communications, expliquez vos démarches en cours, par exemple : « Nous mettons actuellement en place un système de mesure de notre empreinte carbone selon le protocole GHG, avec un premier bilan prévu pour mars 2026. » Cette approche démontre votre engagement sans affirmations prématurées.
L’adoption d’une temporalité progressive structure efficacement votre communication. Annoncez vos objectifs et vos méthodes, puis communiquez régulièrement sur l’avancement de vos systèmes de mesure. Cette approche par étapes maintient l’engagement de vos audiences tout en construisant progressivement la robustesse de vos affirmations.
Le recours à des références sectorielles peut combler certaines lacunes temporairement. Si vous ne disposez pas encore de votre propre analyse, vous pouvez vous référer aux moyennes publiées par des organismes crédibles, en précisant cette limitation, par exemple : « Selon les données sectorielles de [organisme de référence], ce type d’initiative génère typiquement une réduction de X %. Nous finalisons notre propre mesure pour confirmer l’impact spécifique de notre démarche. »
La collaboration avec des partenaires certifiés accélère l’obtention de données fiables. Travailler avec des fournisseurs déjà labellisés, des consultants spécialisés ou des laboratoires accrédités vous permet de disposer plus rapidement de données validées.
L’engagement public vers la transparence renforce votre crédibilité même sans des données complètes. Publier un calendrier de mise en place de vos systèmes, s’engager à partager vos résultats dès leur disponibilité et reconnaître ouvertement vos limites actuelles démontre une démarche responsable qui anticipe les attentes plutôt qu’elle les subit.
Une transformation nécessaire
La loi C-59 catalyse une évolution plus profonde de notre rapport aux données en communication. Cette mutation, loin de constituer uniquement une contrainte, ouvre la voie à une crédibilité renforcée et à des relations plus authentiques avec nos parties prenantes.
Les organisations qui développent dès maintenant une culture de la donnée responsable prennent une avance concurrentielle. Elles construisent des fondations solides pour leurs communications futures tout en s’affranchissant des risques juridiques et réputationnels.
L’ère des approximations communicationnelles s’achève. Place aux organisations qui font de la rigueur des données un avantage stratégique, et de la transparence un différenciateur. La C-59 ne fait qu’ouvrir la voie à cette évolution vers une communication plus responsable.